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Général Wattel (1878-1957)

General_Wattel

Jean-Charles-Edmond Wattel est né le 28 juillet 1878 à Tourcoing. Il s’éteint le 22 décembre 1957.

Vie équestre

Jean-Charles-Edmond Wattel fut, selon ses pairs, « L’Écuyer de sa génération ». Certains le comparèrent même à d’Aure et l’Hotte, en regrettant toutefois qu’il n’ait rien écrit, ce qui n’est pas tout à fait exact. Le 18 janvier 1953, quatre ans avant sa mort, il rédigea ces quelques lignes en tête d’un ouvrage de souvenirs et de « Notes d’équitation » où ce maître incontesté du piaffer faisait l’apologie du… reculer : « Ces souvenirs ne doivent pas être publiés. Je les ai écrits à 75 ans, après une longue maladie. Ils n’ont, à mon avis, aucune valeur, ni littéraire, ni pédagogique, ils fourmillent d’erreurs, de fautes de style, de contradictions. Je ne voudrais pas que ces notes désillusionnent ceux qui m’ont connu quand j’avais la plénitude de mes facultés intellectuelles et physiques. Mes enfants pourront y trouver de l’intérêt et, en cherchant bien, quelques conseils utiles ».
Le dernier vœu de cet homme rigoureux fut, hélas, scrupuleusement respecté par sa famille, dont ses deux de ses enfants, excellents cavaliers ont longtemps regretté de ne pouvoir bénéficier de l’immense savoir de leur père.

En préparant Saint-Cyr à Paris, Edmond Wattel, comme ses condisciples, pouvait monter à cheval, deux fois par mois dans un manège, rue de Suresnes, là ou avait eu lieu la seule entrevue connue entre le comte d’Aure et Baucher.

Le bagage équestre de Wattel était donc assez mince lorsqu’il entra à Saint-Cyr en 1897, mais il s’inscrivit aussitôt comme plus de la moitié des élèves comme candidat cavalier.

Classé 71 sur 598, il fut affecté au 2eme Dragons à Saint-Omer.

Ce jeune homme plutôt grand pour un cavalier, fin mais tout en muscles, ne rêvait alors que de courses et surtout de steeple. Le dressage était le moindre de ses soucis. Cependant, en voyant travailler le sous-lieutenant de Kermenguy qui avait été sous-maître à Saumur, il se rendit très vite compte qu’il était beaucoup plus agréable de monter un cheval assoupli, confortable, et soumis, plutôt qu’un cheval raide, contracté et désobéissant.

En 1900, comme tous les cavaliers de sa promotion, Wattel, surnommé « Le Watt » ou Watt par ses amis, suivit le cours d’application à l’école de Cavalerie.

Saumur était à l’époque le temple de l’équitation académique et les Écuyers du Manège l’objet d’une admiration et d’un culte difficilement imaginable. Wattel fut affecté à la brigade du capitaine Blacque-Belair, futur Écuyer en chef et fondateur du championnat du cheval d’armes (aujourd’hui le concours complet).

Sorti avec le n° 12 sur 70 et la mention très bien, Wattel revient au 21e Dragons comme lieutenant. Muté en 1903 au 3e Dragons, puis au 26e Dragons, il rejoindra Saumur en 1906, pour son stage de lieutenant d’instruction.

Entre-temps commence réellement sa carrière sportive. Grâce à l’amitié que lui portait le capitaine Blacque-Belair, des propriétaires en vue lui confièrent leurs chevaux dans des courses de gentlemen, et même dans des épreuves ouvertes aux professionnels.

Après avoir gagné à Lille avec un grand bai brun « Ulster », il affronta les jockeys à Enghien et Maisons-Laffitte, tandis qu’avec sa jument d’armes, « Gaule », de sang normand, Wattel brillait dans les military.

Le comte de Cherisey envoya aussi à Wattel un grand cheval panard et exagérément long, « José Marti », avec ce petit mot : « Il semble foutu, faîtes en ce que vous voulez ». Durant tout un hiver, Wattel travailla « José Marti » à la longe dans un pré, ou en liberté au manège. Accompagné de son ami Haentjens, il le montait parfois, au cours d’un travail long et lent à travers la lande nantaise.

Avec « José Marti », il remporta quatorze steeples et découvrit que le travail non monté est irremplaçable pour remettre un cheval en condition.

Sur ce même « José Marti », il finit 1er à Verrie en 1904. Le commandant Gaborit de Montjou devenu Écuyer en chef le remarqua et lui dit : n’êtes-vous pas ce jeune sous-lieutenant qui allait bien sur les obstacles ? Si vous continuez ainsi, nous vous peindrons en noir Wattel devint alors le spécialiste des chevaux difficiles dont il faisait des gagnants avec « Umber », « Infante » et « Forfar » qui le déposa brutalement sur le talus breton (on emporta Wattel inanimé sur une civière et il se réveilla à l’hôpital avec une poche de glace sur la tête). Sans pratiquer la monte à l’américaine, « comme les singes » disaient les gentlemen, il raccourcissait ses étriers de quatre trous et se penchait en avant, les fesses hors de la selle. J’ai eu du mal à adopter cette position disait-il, car on m’avait inlassablement répété : assis, assis.

En 1906, Wattel revient donc à Saumur pour suivre le stage de lieutenant d’instruction.

Wattel portera la tenue noire pendant six ans, sous les ordres de Gaborit de Montjou et de Blacque-Belair. D’autres écuyers aux noms égale­ment prestigieux, Decarpentry, Danloux, Detroyat, Lafont, Saint-Phalle, Haentjens, Von­derheyden, Malherbe, formeront avec lui un groupe si brillant qu’il fut baptisé « la pléiade ».

Wattel regretta d’abord que Montjou fût exceptionnellement avare de conseils. Une fois, dans son bureau, alors que Wattel venait lui rendre compte d’un problème, Montjou saisit le cours d’équitation du comte d’Aure et lui lut une page traitant de l’accord des aides. Puis, il lui dit en le congédiant gentiment : « C’est magnifique, n’est-ce pas ? ».

A quelques mois de là, Wattel qui était en difficulté sur son cheval de dressage sollicita un avis. «Vous n’avez qu’à mettre votre cheval droit», répondit Montjou.

Une troisième fois, Wattel demanda à son Écuyer en chef « que faut-il dire à nos élèves ? ». « Ne leur dites rien » fut la réponse.

Mimétisme ? Devenu Écuyer en chef à son tour, Wattel fut, lui aussi célèbre par la sobriété de ses paroles dont il fallait interpréter le sens comme celui des paraboles de l’Evangile, au niveau des principes.

Ces mots favoris étaient alors : « Travaillez sans cesse » et « Lisez et réfléchissez ».

Ce qu’il mettait d’ailleurs en pratique chaque jour. « Toute ma vie, je me suis levé à cinq heures du matin », dira-t-il un jour à l’un de ses fils devenu officier de marine.

Le 23 juin 1913, le capitaine Wattel troquait à regret la tunique noire pour la culotte garance du 13e Dragons, de Melun, où il allait effectuer son temps de commandement.

La guerre est proche. Le 2 août 1914 le capitaine Wattel part pour le front à la tête du 1er escadron avec le casque à crinière !

Le capitaine Wattel qui a pris le commandement d’un escadron de 300 « Cavaliers à pied » se retrouve en Artois puis dans les tranchées de Champagne. Le 27 octobre, vers 7 h 30 du matin, alors que l’escadron Wattel a relevé des territoriaux dans la nuit, le secteur subit une attaque par gaz asphyxiants. Il y aura cinquante morts dont trois officiers et Wattel respirera des vapeurs d’ypérite avant d’appliquer sur son visage le masque à gaz de fortune distribué à la troupe un linge qu’il fallait imbiber d’hyposulfite de soude! Quarante ans plus tard, les médecins découvriront que les poumons avaient été atteints et Wattel sera rongé par la tuberculose.

Un défi qui semblait alors impossible à relever officiers : 2228 officiers de cavalerie (dont 4 généraux) avaient été tués au combat. Parmi les victimes, 19 anciens instructeurs de l’Ecole de Cavalerie (Cadres noir et bleu confondus).

L’École, elle-même, était en piteux état. Construits par des artilleurs américains qui s’y trouvaient cantonnés, des baraquements s’éle­vaient un peu partout. Les manèges avaient été transformés en ateliers de réparation. La sellerie avait disparu et, dans les quelques écuries encore en service, la gale sévissait et les rats paraissaient maîtres des lieux. La fameuse carrière du Chardonnet avait été « métamorphosée » en stade où l’on jouait au football… américain !

En visitant son futur domaine, en compagnie du colonel Thureau, le nouveau commandant de l’École, Wattel, peu loquace et ne laissant rien paraître de ses sentiments dit simplement « Ça ne va pas être facile, mais on y arrivera ».

Quelques heures plus tard, flanqué d’un secrétaire venu de l’artillerie et de l’adjudant Macaire, un ancien sous-maître promu, sur le champ, Maître de Manège, le commandant Wattel se mettait au travail. Il devait tout reprendre à zéro, restaurer les écuries et les manèges, trouver des chevaux alors que l’élevage avait été éprouvé par la guerre, et aussi des… écuyers.

Au début d’octobre, en sept mois, Wattel avait gagné son pari. Manèges et écuries, remis en état, abritaient 450 chevaux. Des galopeurs étaient entraînés pour les courses de Verrie dont le nouvel Ecuyer en chef avait étudié chaque obstacle et son environnement, plantant inlassablement bruyères et plantes vivaces. Une dizaine d’écuyers et de sous-écuyers aidés par quelques sous-maîtres assuraient les cours. En août 1920, Wattel pouvait même présenter une reprise d’écuyers et de sauteurs en liberté au cours d’un mini-carrousel sur le terrain des Huraudières, la carrière Iéna étant encore en réfection.

Wattel, en fait, n’aimait pas les reprises publiques. « J’ai deux croix à porter, disait-il, le Carrousel et les chevaux de généraux qu’il faut constamment redresser ».

Pendant dix ans, le commandant, puis lieutenant-colonel Wattel régna sans partage sur le Manège et ses écuyers dont il désirait qu’ils s’imposent autant par leurs qualités d’intelligence et de caractère que par leur virtuosité équestre.

Lui-même se voulait un cavalier exemplaire. Sa position à cheval se caractérisait par une assiette impeccable, une fixité absolue, une très grande puissance de jambes et une main dont le pouce, immuablement fermé sur les rênes — « Seule chose, disait-il, mais capitale, apprise à Saint-­Cyr » assurait une constante longueur de rênes, en laissant aux doigts une totale liberté d’action.

Le colonel Challan-Belval le décrit ainsi « D’une discrétion d’aides exemplaire, il était dans la sobriété de son élégance, la majesté à cheval ».

Après avoir essayé personnellement plus d’une centaine de montures et gardé quelque temps les meilleures, Wattel en choisit successivement huit, avec une certaine prédilection pour les pur-sang et les anglo-arabe.

— « Vauquois », pur-sang alezan qui fut son premier cheval de manège.

— « Cachotier », pur-sang bai-foncé qu’il montait au Carrousel de 1928.

— « Ostigo », anglo-arabe, généreux et doué à l’obstacle dont Wattel avait fait son « saut de barre », et qui avait probablement la classe internationale. Mais, l’Écuyer en chef n’aimait pas le concours hippique!

— « Rempart », magnifique anglo-arabe, important mais harmonieux dans son ensemble, dont le dressage fut conduit au plus haut degré de perfection, sans que jamais sa vaillance et son impulsion manifestent la moindre lassitude.

« Ceux qui, comme moi, écrivit le colonel Challan-Belval ont eu la chance de voir « Rempart » monté par Wattel, éblouissant de grâce et de brillant dans toutes ses attitudes, exécutant un piaffer et un passage extraordinaires, en se jouant, comme en liberté, en ont conservé une image inoubliable ».

C’est à « Rempart » – le cheval de sa vie – que l’Écuyer en chef doit sa réputation auprès du public qui assistait aux reprises – Mais c’est la dernière monture de son temps de commandement  « Clough Bank », qui l’a crédité de l’admiration sans réserve des initiés.

Citations

Comme le colonel de Montjou, Wattel était avare de conseils.
« Travaillez sans cesse » et « Lisez et réfléchissez ».
Sollicité par de nombreux auteurs d’ouvrages sur l’équitation et le dressage, il répondait invariablement par un seul mot : « poussez », indiquant que l’impulsion est la priorité absolue.
Lorsque Wattel répond à un colonel en visite demandant comment mettre son cheval au passage « Il faut se lever de bonne heure », cela veut dire, en fait, que l’on doit travailler avec acharnement, que seul le travail est finalement payant.
Lorsqu’il sort de son mutisme habituel et dit à l’un de ses écuyers qui demandait: « Enfin, mon commandant, comment demandez-vous le changement de pied au galop »? : « J’y pense »! cela signifie que, lorsque l’accord intime est réalisé entre l’homme et sa monture, le seul fait de penser au mouvement fait jouer les réflexes qui en commandent l’exécution.